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La Gouvernance D’entreprise En Tunisie : Un Cadre Législatif Étoffé Et Un Constat Mitigé

La Tunisie s’est réveillée après le 14 Janvier 2011 avec une sensation de veisalgie. L’énormité des révélations faites et des découvertes réalisées sur les différents dossiers de malversations, de corruption, d’abus, etc. a fini par avoir raison des plus sceptiques. Comment en sommes-nous arrivés là ? Qu’est-ce qui a fait gangréner notre tissu économique à ce point?

Les premières idées qui viennent à l’esprit concernent le cadre juridique pointé du doigt. Certains observateurs pensent, à tort ou à raison, que si la corruption et les dérives ont gagné tous les postes de l’Etat, c’est à cause de l’absence d’un arsenal juridique et procédurier adéquat. Ces observateurs pensent que les lois existantes ne sont pas suffisamment riches et fournies et les procédures sont souvent compliquées et excessives. Un cadre juridique approprié aurait pu minimiser ou freiner cette frénésie à la dérive. Qu’en est-il réellement ? Est-ce la loi qui pose problème ? (cadre juridique mal-adapté, peu étoffé…) ou la non application et le non-respect de la loi qu’il faut pointer du doigt ?

L’entreprise véritable maillon fort, de toute économie, se trouve être l’instigateur de tout succès ou de tout échec de l’économie. L’entreprise à l’instar, des autres composantes de la société, a subi de plein fouet les dérives mafieuses d’un pouvoir dépassé. La gouvernance d’entreprise constitue sans aucun doute, le véritable garant de transparence et de succès des entreprises. Les tunisiens se sont révoltés le 14 janvier 2011 pour rompre définitivement avec un système corrompu et abîmé jusqu’à la moelle.

 La gouvernance d’entreprise

La gouvernance d’entreprise terme relativement nouveau en langue française, signifie l’organisation du contrôle et de la gestion dans l’entreprise. De ce fait, les différentes procédures et lois, ainsi que les réglementations et institutions de l’entreprise forment le cadre de référence de la gouvernance. La gouvernance d’entreprise s’intéresse aux questions liées à la répartition de pouvoir au sein de l’entreprise, à la définition des missions et des prérogatives de chaque partie, aux procédures de nominations et de révocations des dirigeants, aux rémunérations et aux intéressements, aux choix stratégiques, aux droits et obligations des actionnaires et des différentes parties prenantes. La gouvernance d’entreprise c’est « le management du management ».

Ainsi, la gouvernance d’entreprise propose une nouvelle forme du processus de décision, où les différentes parties prenantes et les stakeholders cohabitent en une parfaite harmonie pour le bien de toutes les parties concernées. Ainsi, des lois, des dispositions juridiques, des règles comptables et des dispositions strictes encadrent le fonctionnement des entreprises, dans un souci majeur de tice, de transparence et de clarté.

Les scandales financiers, politico-financiers et banquiers qui se sont multipliés à travers le monde, ces dernières années, ont renforcé la prise de conscience des acteurs politiques et économiques quant aux renforcements des structures de contrôle, de surveillance et de vigilance, afin que des scandales type Enron (2001),  Parmalat (2003) ou Batam (2002) ne se reproduisent plus jamais, et que le monde ne serait plus fébrile et à la merci de crises telle que celle de 2008. La commission tunisienne d’investigation sur les affaires de malversation et de corruption a reçu en quelques mois de travail plus de 11000 dossiers. Seulement quelques centaines ont pu être traités et transférés devant la justice.

Ainsi, sous l’impulsion des organismes internationaux comme la Banque Mondiale, le FMI, l’OCDE ou encore l’Union européenne, des efforts considérables ont été engagés en vue d’harmoniser les législations en vigueur et d’encadrer et de surveiller et les acteurs financiers et les transactions financières.

Cet intérêt accru aux questions de la gouvernance d’entreprise, à la problématique de la transparence de l’information financière, ont placé depuis quelques années la gouvernance d’entreprise au centre des débats un peu partout dans le monde. L’éclatement de la bulle financière a déstabilisé les marchés et entaché la confiance des investisseurs.

Face à ces menaces, le législateur a dû intervenir. Aujourd’hui, ce sont donc des lois, telles que le Sarbanes Oxley Act aux États-Unis, la Loi de Sécurité Financière en France ou la Loi de la Sécurité des Transactions Financières en Tunisie qui codifient les recommandations en matière de gouvernance d’entreprise pour protéger les investisseurs.

La gouvernance d’entreprise en Tunisie : un arsenal juridique important

Le législateur tunisien n’a jamais été à la traine. Les lois tunisiennes ont toujours été en phase avec l’environnement national et international. La législation afférente à la gouvernance d’entreprise est assez conséquente. La loi 2005 relative à la sécurité des transactions financières a vu le jour dans un contexte économique ébranlée par quelques affaires de corruption et de mauvaise gestion, comme l’affaire Batam ou les affaires de plusieurs autres sociétés passées sous silence, ou encore la multiplication des crédits impayés et l’évasion fiscale qui fait désormais légion en Tunisie.

Il faut rappeler que la loi sur la sécurité financière promulguée en 2005 en Tunisie, n’est pas la première en la matière. En réalité, plusieurs lois et textes juridiques ont été promulgués les années précédentes afin de garantir plus de transparence quant aux transactions financières. On peut citer les dispositions des articles 262 du code des sociétés commerciales, l’arrêté des ministres de l’économie nationale et des finances portant homologation du barème des honoraires des experts comptables et des commissaires aux comptes de sociétés de Tunisie, telle que modifié par l’arrêté des ministres des finances et de l’économie nationale du 23 janvier 1995, et la loi n°2002-16 du 04 février 2002, portant organisation de la profession des comptables.

La mise en place en 1997, d’un nouveau plan comptable destiné aux entreprises tunisiennes est certainement l’une des plus grandes réformes réalisées ces quinze dernières années.

à travers le renforcement du contrôle interne, la loi sur la sécurité financière devrait permettre de produire une information financière de meilleure qualité et ainsi d’accéder aux demandes du marché pour une plus grande transparence.

La loi de la sécurité des transactions financières (2005)

La Tunisie n’a jamais été à l’écart des transformations, ni des mutations internationales, elle a tenté de suivre les différentes évolutions tant bien à l’échelle nationale qu’à l’échelle internationale.

La loi sur la Sécurité des Transactions Financières en Tunisie repose principalement sur une responsabilité accrue des dirigeants, sur un renforcement du contrôle interne et sur une réduction des sources de conflits d’intérêt. Les nouveautés apportées par cette loi, largement inspirée de la loi Sarbanes-Oxley (États-Unis) sont assez nombreuses. La loi 2005 a essayé de renforcer la crédibilité des informations financières présentées par les entreprises. Outre les sociétés anonymes, cette loi s’est intéressée même aux sociétés à responsabilité limitée (SARL), où il suffit qu’un ou plusieurs associés détenant au moins 20% du capital en fassent la demande, pour qu’un commissaire aux comptes soit désigné. Dans un souci d’indépendance, le mandat des commissaires aux comptes ne peut être illimité dans le temps, il ne peut voir son mandat renouveler plus de 3 fois s’il est une personne physique, et 5 fois s’il revêt la forme d’une société d’expertise, à condition de changer de professionnel et d’équipe intervenante au moins après 3 mandats. Pour plus de transparence, la loi 2005 exige des organes de direction et des chargés des affaires comptables et financières des sociétés commerciales d’attester au près des commissaires aux comptes qu’ils avaient été des plus vigilants et prudents pour présenter des états financiers exhaustifs et conformes à la législation en vigueur.

L’accent a été surtout mis sur le droit des actionnaires, où le Conseil du Marché Financier (CMF) doit être informé des résolutions adoptées par le conseil ainsi que l’état d’évolution du capital, le bilan après affectation du résultat et les états financiers lorsqu’ils avaient subi des modifications, dans un délai ne dépassant pas les 30 jours depuis la tenue de l’assemblée générale ordinaire, pour les sociétés faisant appel public à l’épargne. La création d’un comité permanent d’audit, devient une obligation pour ces sociétés où PDG, DG et DGA ne peuvent faire partie de ce comité. D’autre part, cette loi a présenté un ensemble de dispositions qui viseraient la divulgation des informations financières lors des assemblées générales, où un délai minimum de 15 jours est exigé avant la tenue de l’assemblée, pour l’envoi au CMF et à la BVMT d’une copie de l’ordre du jour et un projet des décisions qui seront soumises à la discussion. Les décisions prises, l’évolution du capital, les états financiers consolidés, etc. doivent faire l’objet de publications au journal du CMF, ainsi que dans un quotidien de la place.

La finalité de la loi 2005 sur la sécurité financière est de mettre sous l’autorité et le contrôle du CMF, les établissements exerçant l’activité de gestion de portefeuilles de valeurs mobilières pour le compte de tiers, ainsi que leurs dirigeants et le personnel soumis. Le but ultime recherché est de veiller au respect des intérêts des clients, de défendre et d’exiger l’indépendance des gestionnaires et de ne pas surtout avancer la priorité des intérêts des actionnaires.

Les dispositions de la loi n°96-2005 se sont voulues être des plus exhaustives et des plus précises possibles afin de garantir un maximum de transparence et de clarté. L’accent a été mis surtout sur le volet humain en considérant que les commissaires aux comptes sont désormais mandatés pour assumer un rôle de contrôle, de régulateur, de tireur d’alerte et de prévention. Les limites allouées aux mandats d’audit, la séparation des services de contrôle et de conseil, etc., ont été évoquées également dans cette loi.

Les obligations attribuées aux commissaires aux comptes confèrent à son travail une responsabilité accrue où le commissaire aux comptes se trouve dans l’obligation d’examiner le système de contrôle interne des entreprises auditées, d’en tenir compte dans la planification et l’exécution des travaux de vérification, et d’en faire mention dans leur rapport d’audit, et de notifier au CMF tout fait de nature à mettre en péril les intérêts de la société où des porteurs de ses titres, pour les sociétés faisant appel public à l’épargne.

Une première évaluation quantitative de cette loi a été faite par le ministère des finances, en collaboration avec le CMF et l’OECT. Il ressort de cette évaluation que ‘‘89,5% des sociétés concernées ont désigné un commissaire aux comptes, que toutes les entreprises concernées ont appliqué le principe de rotation et que toutes les sociétés faisant appel public à l’épargne ont désigné un comité d’audit. La proportion d’entreprises ayant respecté l’obligation de publier tous les trois mois leurs indicateurs d’activité a progressé significativement en 2009 du premier trimestre (92%), au second (98%), au troisième (100%) avant de baisser légèrement durant le quatrième (96%). Pour les états financiers annuels la proportion des sociétés publiant les leurs dans les temps est passée de 71% en 2007, à 86% en 2008 et à 88% en 2009’’.

La loi n°2007-69 relative à l’initiative économique

Depuis plusieurs années, la Tunisie a pris conscience de l’importance de l’encouragement de l’initiative personnelle privée. De nombreuses lois ont ainsi été promulguées, dont la loi sur l’essaimage. La loi 2007 relative à l’initiative économique, vient s’ajouter aux lois déjà existantes. Outre les dispositions relatives aux facilités accordées pour le lancement des projets et de création des entreprises, à la simplification des procédures administratives, à la facilitation du financement, à la formation professionnelle, aux mesures d’accompagnement à caractère social, ou encore à l’encouragement du développement régional, cette loi a présenté des dispositions de protection des actionnaires et des associés. À titre d’exemple, les actionnaires qui détiennent moins de 10 % du capital social, ont la possibilité d’annuler toute décision jugée contraire aux statuts et qui porteraient atteinte aux intérêts de la société. De fait, aucune partie ne peut avancer ses intérêts ou les intérêts des tiers sur les ceux de la société ou des actionnaires. De même, en cas de doute ou de suspicion sur la véracité de certaines opérations ou décisions prises, le législateur a donné la possibilité aux actionnaires de se référer soit individuellement, soit collectivement au juge des référés pour la désignation d’un expert ou d’un collège d’expert pour examiner une ou plusieurs opérations de gestion, à condition de détenir au moins 10% du capital.

D’autres articles de cette loi encadrent les opérations d’encouragement de redressements des entreprises ainsi que leurs transmissions. Il est question de garantir un maximum de transparence et de fiabilité quant à ce type d’opération sur les entreprises et cela dans l’intérêt des différentes parties prenantes.

La loi n°2009-16 relative aux sociétés commerciales

La loi 2009-16 du 16/03/2009, modifiant et complétant le code des sociétés commerciales, a bouleversé certaines dispositions relatives aux sociétés anonymes. Cette loi a fait de « l’Évitement des conflits d’intérêts » le thème principal autour duquel s’articulent les dispositions de l’article 200 (nouveau). Elle a également  inclut les actionnaires, personnes physiques, influents et les sociétés liées parmi les personnes visées par cette réglementation. De même,  le champ d’application a été élargi à certaines opérations faites même avec des tiers étrangers à la société.

Cette loi a appelé à l’évitement des conflits d’intérêts où « les dirigeants de la société anonyme doivent déclarer par écrit tout intérêt direct ou indirect qu’ils ont dans les contrats et opérations conclus avec la société ou demander de le mentionner dans les procès-verbaux du conseil d’administration».

Cette loi a en outre présenté les modalités de contrôle des conventions réglementées avec l’information du PDG, l’obtention de l’autorisation du conseil, l’information du commissaire aux comptes et l’obtention de l’approbation de l’assemblée.

Elle a également étalé les opérations soumises à la procédure d’autorisation, d’approbation et d’audit comme les conventions conclues avec les dirigeants et actionnaires directement, indirectement ou par personnes interposées, ou certaines opérations limitativement énumérées et ce, quelle que soit la personne qui les conclut avec la société anonyme et tout genre de rémunérations et d’avantages servis aux dirigeants. D’autres dispositions de cette loi, se sont intéressées aux modalités de rémunérations allouées aux dirigeants, ainsi qu’un encadrement strictes des opérations permises et interdites aux dirigeants.

Les opérations interdites concernant les dirigeants et les actionnaires ont également été évoquées dans cette loi : pour les actionnaires, il peut s’agir des emprunts avec la société, des avances, des découverts, du bénéfice de subventions, de la  caution ou l’aval par la société des engagements envers les tiers ; alors que pour actionnaires il est interdit de contracter sous quelque forme que ce soit, des emprunts avec la société, de se faire consentir par elle une avance, un découvert, ou d’en recevoir des subventions afin de l’utiliser pour la souscription dans les actions de la société. Ces interdictions concernent le PDG, le DG, l’administrateur délégué, le DGA, et les membres du conseil d’administration, les conjoints, ascendants, descendants et toute personne interposée au profit de l’un d’eux, les représentants permanents des personnes morales membres du conseil d’administration, ainsi, que tout actionnaire, son conjoint, ses ascendants ou descendants, ou toute personne interposée pour le compte de l’un d’eux.

La circulaire de la banque centrale N° 2011-06

Le renforcement des règles de bonne gouvernance dans les établissements de crédit, a été l’objet de la circulaire du gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie (BCT) N° 2011-06, en date du 20 mai 2011.

La parution de cette loi, cinq mois seulement après la révolution du 14 janvier 2011, ne peut s’expliquer que par le contexte délicat et douteux dans lequel évoluaient les banques tunisiennes. Ces banques ont été pointées du doigt et sévèrement critiquées, à tort ou à raison, suite à la divulgation des crédits allouées sans garanties à la famille de l’ancien président et à ses proches.

La circulaire de la BCT a tout d’abord présenté les missions et les prérogatives du conseil d’administration des établissements de crédit. Le conseil arrête la stratégie de développement et les politiques d’intervention de l’établissement, assure la surveillance effective de l’organe de direction en portant des jugements sur les décisions prises dans le cadre de la gestion de l’activité de l’établissement ayant trait à sa rentabilité et sa solidité financière et la mise en œuvre d’un dispositif de gouvernance. En ce qui concerne le volet de la gouvernance, le conseil doit « établir un code de gouvernance. Il doit donner l’exemple, par ses propres pratiques, des principes de bonne gouvernance en :

–          créant des comités au niveau du conseil afin de s’assurer qu’il fonctionne de façon efficace et efficiente ;

–          mettant à jour les statuts et les règlements internes de l’établissement;

–          effectuant des évaluations régulières au niveau du conseil dans son ensemble et de chacun de ses membres. »

Cette circulaire a également appelé tous les membres du conseil à s’engager à placer l’intérêt de leurs établissements au-dessus de tout autre intérêt. Tout membre du conseil doit s’assurer, de la préservation de la confidentialité des informations auxquelles il a accès, sans penser à les utiliser à d’autres fins illicites. Tout membre du conseil doit également s’assurer en permanence de l’absence de conflits d’intérêts lors des prises de décisions. De ce fait, l’abstention de voter devient une exigence morale et éthique en situation de conflit d’intérêt. De même, il est indispensable qu’il y ait abstention de voter lorsque l’objectivité et la capacité des votants est engagée. La circulaire de la BCT a également appelé à ne pas utiliser les actifs de l’établissement à des fins personnelles et à informer le conseil des situations qui pourraient engendrer des conflits d’intérêts.

Les rôles des différents comités ont aussi été particulièrement définis. Différents comités s’attèlent à s’assurer du bon fonctionnement des établissements de crédit, à l’instar du comité exécutif des crédits, du comité des risques (structure de surveillance et de suivi des risques), et du comité permanent d’audit interne. Le comité exécutif des crédits est chargé d’examiner l’activité de financement de l’établissement, où il donne son avis sur les crédits de restructuration et les différents types de crédit alloués. Le comité des risques veille à fournir au conseil toute l’aide et l’expertise nécessaire à la gestion et à la surveillance des risques, dans le respect de la réglementation et des politiques précédemment arrêtées. il est de ce fait appelé à assister le conseil à mettre en place les différentes procédures et systèmes de gestion, de prévention et de contrôle des risques, ainsi que la fixation des limites qui ne doivent pas être dépassées. Pour le comité permanent d’audit interne, outre ses fonctions de surveillance, de veille, de contrôle et d’évaluation des actions faites, il propose la nomination du ou des commissaires aux comptes et/ou des auditeurs externes et donne un avis sur le programme et les résultats de leurs contrôles. La présidence de ce comité d’audit doit être faite par une personne qui n’appartient pas au conseil.

D’autres dispositions concernent les modalités de nomination, de rémunération, de diffusion de l’information ont également été traitées dans cette circulaire.

La circulaire de la banque centrale avait pour objectif de pousser les banques à une meilleure surveillance et à un suivi plus élaboré des risques. L’objectif était de parvenir à établir une gestion saine, rigoureuse et prudente. L’idée est de garantir la meilleure transparence possible dans la gestion, la pertinence du pilotage des risques, la fiabilité des systèmes de contrôle par des organes tels que le conseil d’administration, la direction générale et la hiérarchie, l’audit, l’inspection, les structures de conformité et de qualité. Condensé en quatre parties, à savoir le conseil d’administration, les comités d’audit et de crédit, la nomination et la récupération et la politique de communication, l’objectif de la circulaire est une pérennité des établissements de crédit grâce à une recherche d’une préservation optimale des intérêts des actionnaires, des déposants, mais également des partenaires, créanciers, investisseurs et personnel de l’établissement.

Néanmoins, une question persiste : si la Tunisie dispose d’un cadre juridique aussi bien élaboré, dans quels états sont les entreprises tunisiennes ? Comment en sommes-nous arrivés à autant de confusions ?

En Tunisie, il y a désormais deux dates : l’avant et l’après 14 janvier 2011.

Avant le 14 janvier 2011

Le tissu économique tunisien est formé majoritairement de PME familiales. Les conflits sociaux, les conflits de gestion et de transmission sont restés somme toute dans les normes. De même les faillites des entreprises et les affaires de mauvaise gestion qui ont fait grand bruit n’étaient pas non plus assez nombreuses. Les prises de participation ou augmentations de capital se faisaient parfois dans le secret le plus total, famille régnante oblige. Outre l’absence de transparence de certaines transactions et de certaines décisions, l’entreprise tunisienne souffre de problèmes structurels avec un management souvent figé et des décisions stratégiques qui n’arrivent parfois jamais.

On dirait que les lois ont été faites pour être souillées. Les secrets gardés sur les affaires de corruption étaient des secrets de polichinelle, tout le monde était au courant, et pourtant la justice est restée muette. Aucune procédure engagée, aucune enquête ouverte, aucune mise en garde. Pourtant, il n’y avait pas que la famille et les proches de l’ancien président qui s’y sont trompés. Pourquoi les délits d’initiés sont monnaies courantes en Tunisie ? Pourquoi aucune action n’a été entreprise pour stopper l’hémorragie et empêcher des personnes d’amasser des fortunes en toute impunité ? Le cas de la STAR en 2008, ou de Carthage Ciment en 2010 sont des cas parfaitement illustratif du délit d’initié. Protéger les actionnaires et le marché financier devrait être la priorité des priorités de la gouvernance d’entreprise.

Le constat d’échec de la gouvernance d’entreprise en Tunisie, ne pourrait être imputable uniquement au cadre juridique, mais aux différents acteurs. Malgré les larges prérogatives dont il dispose, le CMF n’est pas intervenue assez fréquemment pour s’acquitter convenablement de sa mission. Son silence vis-à-vis des dépassements enregistrés sur le marché financier était douteux le rendant parfois même complice. La justice tunisienne a elle aussi choisi de rester à l’écart, comme si les crimes commis ne méritaient aucune sanction. D’ailleurs, une autre question vient à l’esprit : disposons-nous de juges, d’auxiliaire de justice compétents et formés correctement pour mener à bien les investigations et mettre à nue le système de corruption qui a gangréné et l’administration et l’économie tunisiennes, notamment dans les sphères de pouvoir et des milieux des affaires?

Fait indéniable, les différents organes de régulation, ne se sont pas acquittés correctement de leurs missions. Ils étaient souvent à la traine et répondaient positivement aux sollicitations du pouvoir exécutif. Auraient-ils pu agir autrement ? Les liens formels ou informels des uns et des autres avec les sphères de pouvoir ne pouvaient qu’être nuisibles à moyen et long terme, pour les différentes parties prenantes. Chaque effraction constatée, au lieu qu’elle soit traitée conformément à la législation en vigueur, se trouve minimisée, marginalisée et ignorée. Combien même d’infractions ont été commises au vu et au su de ces organes censés protégés les investisseurs, les actionnaires, les salariés, etc. !  L’arsenal juridique en place, semble suffisant pour mener à bien les actions de surveillance et de régulation. Mais, les lois resteraient vaines, inefficaces et inutiles sans des hommes pour les appliquer. Tant que les liens entre le pouvoir exécutif et les organes de régulation resteraient bien scellés, et tant que les responsables de ces organes restent nommés par le pouvoir en place, leurs tâches resteraient très limitées et leurs actions fragilisées. Il est inadmissible de voir aujourd’hui l’État nommé le gouverneur de la BCT, le directeur du CMF, etc. L’indépendance de ces organes est un gage d’efficacité, de transparence et de bonne gouvernance.

Autre fait marquant, la productivité des entreprises tunisiennes est faible. Elle est inférieure de 25% par rapport aux entreprises industrielles européennes et de 50% par rapport aux entreprises de services. Si on ajoute le faible taux d’encadrement, la faible réactivité de l’entreprise tunisienne face aux changements internationaux, la faible cotation, la structure de capital et la créativité restreinte de l’entreprise tunisienne, le tableau devient plein.

Certains pourraient être tentés de répondre, que les hommes d’affaire tunisiens, avaient fui le progrès et les améliorations managériales, productives et stratégiques, à cause du climat des affaires malsains qui prévalait à l’époque. Mais force est de constater, qu’une entreprise solide, bien gérée et transparente est plus difficile à squatter. Les barrières à l’entrée sont difficilement franchissables.

Après le 14 janvier 2011

La révolution tunisienne fait face à un défi économique qu’elle doit surmonter, sous peine d’enlisement. Le fait marquant post-révolution tunisienne est la multiplicité des conflits sociaux. On ne dénombre plus les avis de grève, les grèves sauvages, les arrêts de production, les négociations des augmentations salariales interminables, la mortalité organisationnelle, le chômage technique… Si la productivité des entreprises tunisiennes était déjà faible avant le 14 janvier, que dire alors aujourd’hui. Si la productivité baisse, l’incidence est immédiate et pour l’entreprise et pour le pays, où cette baisse s’accompagne d’une hausse de prix, d’une baisse du taux de croissance, d’une augmentation du taux de chômage et d’une augmentation des charges.

Si les acteurs sociaux continuent leurs offensives sur les entreprises, malgré toutes les mises en garde et les cris de détresse, c’est qu’ils sont soit inconscients, soit qu’ils ne croient pas au fait que la situation est aussi délicate. S’ils ne croient pas que la situation est aussi grave, c’est qu’il y a un problème réel de confiance, de communication et de divulgation d’information. Les règles de bonne gouvernance déjà existantes qui s’intéressent aux intérêts des différentes parties prenantes de l’entreprise, des actionnaires aux salariés, se trouvent être confrontées à une rude épreuve. On peut avoir les meilleures lois, le meilleur cadre législatif et juridique sans pour autant réussir à assurer le bon fonctionnement de l’entreprise dans le respect total des différentes parties prenantes de l’entreprise. Tout est question de mentalité. Sans un travail réel de prise de conscience, d’explication des enjeux et des exigences de l’environnement national et international, les lois resteraient vaines.

L’entreprise tunisienne entre l’enclume de la démocratie et le marteau de la performance

Certains observateurs et autres académiciens de la gouvernance d’entreprise, ont imputé les problèmes des entreprises tunisiennes à l’absence de démocratie et d’approches transparentes et participatives dans les prises de décision.

L’approche démocratique préconisée dans les entreprises, s’attache à instaurer un processus de prise décision collective et participative. Dans l’état actuel des choses, les grandes entreprises, évoluent dans un monde globalisé avec des contraintes toujours grandissantes et évolutives. Les collaborateurs, les contractants, les salariés, même les cadres supérieurs se sentent souvent très éloignés de la sphère dirigeante de la prise de décisions. Les décisions semblent parachutés, venues d’un autre monde. Les objectifs sont mal définis, mal perçus et insuffisamment expliqués dans la plupart des cas. Le management est souvent divisé. La plupart des entreprises, ne sont pas conscientes des risques encourus, à être éloigné du personnel et des cadres. Notamment l’absence d’implication du personnel, le manque d’enthousiasme et d’intégration des salariés. Certaines décisions stratégiques qui requièrent une responsabilisation accrue des salariés passent souvent sans concertations, sans communications et sans chercher à sonder les principaux intéressés.

Les entreprises japonaises, étaient conscientes de ces lacunes de communications ; depuis les années 70, où les cercles de qualité, de discussion, etc., étaient mis en place afin d’associer les travailleurs de base au fonctionnement de leurs unités.

En Allemagne, les problèmes sont discutés librement avec les représentants des actionnaires, avant la tenue de la réunion du conseil de surveillance, qui se voit être une simple formalité. Les syndicats participent eux aussi aux différentes décisions qui touchent le travail des salariés et le monde de l’entreprise en général. Ils sont ainsi, mieux concernés et mieux responsabilisés des enjeux et des contraintes de leurs entreprises. Les décisions ont gagné à être plus consensuelles.

Imaginer des nominations qui passeraient par un comité, qui étudierait les différents CV et qui proposerait, après entretien, pour validation le meilleur candidat qui répondrait au mieux aux aspirations de l’entreprise.

Imaginez un autre comité qui se chargerait d’établir une grille salariale et de bonifications en fonction des profils, des performances et des aptitudes de progrès et d’évolution. Imaginez le gain réalisé en termes de temps, d’argent et d’expertise.

Les décisions collectives sont plus transparentes, et la marge d’erreur est minime. Le risque est partagé. C’est un gage de bonne gouvernance pour les différentes parties prenantes.

L’entreprise est éternellement en situation de concurrence. Elle cherche avant tout à être efficace, ce qui suppose une forte unité de direction et de commandement. Cette contrainte est souvent non compatible avec les contraintes de démocratie.

Conférer au conseil plus de liberté de manœuvre et plus d’approche participative, pourrait créer un certain consensus autour des décisions à prendre et autour des approches stratégiques à adopter. Cependant, plusieurs problèmes pourraient surgir, notamment ayant trait à la confidentialité des débats, de certaines informations et de certaines approches. Ce qui pourrait faire perdre aux entreprises l’un des atouts majeurs de leur travail, l’effet de surprise.

Les entreprises pourraient créer autant de  comités qu’elles le souhaitent. Légiférer autant qu’elles le voudraient. Mais, si le volet culturel ne suit pas, rien ne pourra être fait. Comment faire comprendre aux salariés, que participer à la prise de décision ne signifie aucunement imposer sa vision ou son point de vue ? Comment faire comprendre aux cadres, qui font partie des comités de recrutement et de rémunération, que leur travail est consultatif et ne signifie pas qu’ils sont sacrés d’un pouvoir de décision sans partage ? Comment faire admettre aux actionnaires majoritaires que la survie, la pérennité, le succès et le triomphe de leurs entreprises requièrent la participation et l’implication de tout le personnel, indépendamment des contraintes de taille, de concurrence, de gain et de l’unicité de commandement ?

Les objectifs des uns et des autres sont si divergents, qu’il paraît difficile de voir toutes les parties prenantes regarder dans la même direction.

Le code des bonnes pratiques de  gouvernance des entreprises tunisiennes : un regard vers le futur

Instaurer un système de bonne gouvernance exige l’établissement de normes nationales de gestion et de contrôle des entreprises, ainsi que l’inclusion de normes internationales inspirées des principes de l’OCDE, telle est la finalité du guide tunisien des bonnes pratiques de bonne gouvernance. Le système tunisien de gouvernance gagnerait à être plus transparent, plus accessible, et plus intelligible. La présence de règles bien élaborées, correctement définies et conformes aux standards internationaux les plus exigeants, est un gage de confiance pour les investisseurs nationaux et internationaux, pour les salariés, pour les clients et pour le public, que le guide s’efforce de fournir.

Ce guide a appelé les entreprises à appeler les actionnaires à l’assemblée générale ordinaire plutôt que le délai minimum fixé par la loi, afin de permettre aux actionnaires d’étudier en profondeur les documents fournis par l’entreprise. Cette procédure permettrait aux actionnaires de prendre les décisions qui s’imposent en connaissance de cause. De même dans un souci de transparence, le guide appelle à procéder à la séparation de la fonction de président du conseil d’administration de celle de directeur général.

Outre les recommandations classiques, le guide exhorte les entreprises, surtout de grande taille, à adopter un code éthique de bonne conduite. Un code qui intégrerait sous forme de normes les valeurs de base de management telles que la responsabilité, la loyauté, l’égalité, la transparence, l’intégrité, le respect des personnes et de leurs croyances, ainsi que le respect de l’environnement.

Tenir les actionnaires informés de façon permanente et continue des évolutions du management et du pilotage stratégique de l’entreprise, après la tenue de l’assemblée générale est une proposition assez intéressante du guide. Les actionnaires se trouveraient plus impliqués et mieux informés des transformations qui toucheraient l’entreprise. Les décisions prises ne seraient que plus réfléchies, plus élaborées et plus consensuelles.

Le guide des pratiques de bonne gouvernance a appelé les sociétés à allonger les délais de convocation aux assemblées générales et de fournir aux différentes personnes concernées toutes l’aide et toutes les informations qu’ils sollicitent.

D’autres recommandations pourraient s’ajouter à celles déjà formulées comme l’interdiction aux administrateurs de siéger dans le conseil de plus de deux firmes cotées en bourse et de lutter contre les délits d’initiés par la mise en place d’un cadre juridique spécifique. La création d’un observatoire national de la gouvernance, permanent, indépendant et aux larges prérogatives constituerait une avancée majeure en matière de gouvernance. Cet observatoire se chargerait d’évaluer les dispositions actuelles en matière de gouvernance publique et privée, de sonder les points de vue des différentes parties prenantes, de diagnostiquer les défaillances juridiques, managériales et comptables afférentes à la gouvernance d’entreprise, et de proposer les lois et les approches susceptibles de remédier à ses défaillances. L’important c’est d’agir en amont. Il faut prévenir les crises et les anticiper.

La Tunisie, dispose certainement d’un arsenal juridique assez conséquent en matière de gouvernance. Certaines lois sont même avant-gardistes, néanmoins ces lois resteraient vaines sans un effort global d’intégration et par les entreprises et par les différentes parties prenantes. Faire respecter ces lois est un nouveau défi pour les praticiens du monde de la gouvernance d’entreprise. Quand la notion de management par la qualité totale a émergé au sein du monde de l’entreprise, les réticences et les objections à son application étaient nombreuses, depuis un long chemin a été parcouru, aujourd’hui, le management par la qualité totale est une source d’avantage concurrentiel, il est inscrit dans la durée dans les stratégies et la gestion des entreprises. La distinction entre les entreprises se fait à travers l’acquiescement et l’obtention du label de qualité, à travers une normalisation qui conduit l’entreprise à s’inscrire dans une logique d’amélioration continue. Pourquoi ne pas faire pareil pour les entreprises tunisiennes en matière de gouvernance, les labéliser ? Si les lois existent, les mentalités n’ont pas suivies, et seule une intégration totale de la gouvernance d’entreprise dans la fonction managériale est capable de vulgariser ce concept et de le faire admettre dans les mœurs managériaux. Imaginez, les entreprises qui adhèrent au guide des pratiques de bonne gouvernance et qui en feraient un cheval de bataille, ce qu’elles pourraient gagner en efficacité et en efficience. Aujourd’hui, la concurrence ne se fait plus sur les prix, l’expérience ou l’expertise, elle se fait également à travers le respect de l’engagement sociétal de l’entreprise, ses actionnaires et les différentes parties prenantes. Une entreprise qui respecte ses actionnaires, ses employés, ses contractants, ses partenaires financiers et qui intègre parfaitement les règles de bonnes gouvernance est une entreprise qui dispose d’un réel avantage concurrentiel. Il ne reste plus qu’à formaliser cette approche. Outre les critères classiques d’évaluation des entreprises lors de l’octroi des marchés publics par exemple, un nouveau critère et de nouvelles normes de gouvernance pourraient y être intégrés.

Les entreprises sont étroitement liées aux organisations publiques. Leurs sorts sont attachés. Il est inconcevable, que les entreprises prennent le large alors que les organisations publiques font du sur place. Tout plan de restructuration et de relance doit aussi intégrer la réorganisation et la mise à niveau des organisations publiques.

Majdi HASSEN, Universitaire

Sabri BOUBAKER, Universitaire